Archive de l’étiquette contractuelles

La Cour d’appel du Québec se prononce sur la portée du devoir de loyauté d’un employé démissionnaire en l’absence de restrictions contractuelles – Emploi et RH


Compte tenu de la pénurie actuelle de main-d’œuvre, la nécessité pour les employeurs de retenir et d’attirer des employés est devenue particulièrement critique. Les employeurs doivent également empêcher les employés démissionnaires de rejoindre un concurrent et d’utiliser les informations sensibles qu’ils ont obtenues dans le cadre de leur emploi au profit de l’entreprise rivale.

Une traduction de cet article sera bientôt disponible.

Dans le contexte actuel de pénurie de main d’œuvre, il est devenu particulièrement crucial pour les employeurs d’attirer et de retenir leurs employés. Il est tout aussi important pour les employeurs de prévenir que les employés démissionnaires se joignent à une entreprise concurrente et qu’ils utilisent des informations sensibles acquises au cours de leur emploi au bénéfice de l’entreprise concurrente.

En l’absence de clauses restrictives (clauses de non-concurrence, de non-sollicitation ou de confidentialité) prévues dans le contrat de travail, la loyauté d’un employé envers son employeur pendant et après la relation d’est régie par l ‘article 2088 du Code civil du Québec (le « Code civil »). Cet article prévoit qu’un employé doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas utiliser l’information à caractère confidentiel obtenu au cours d’un emploi.

Ce devoir de loyauté empêche-t-il cependant l’employé qui souhaite quitter son emploi de préparer son départ en demeurant en poste ? Pendant combien de temps perdu ce devoir de loyauté après la relation d’emploi? Dans un arrêt1 rendu le 1euh septembre 2021, la Cour d’appel du Québec se prononce notamment sur ces questions tout en clarifiant la portée et l’application du devoir de loyauté d’un employé durant et après la relation d’emploi.

Les motifs de cet arrêt ont été rendus par l’honorable juge Marie-France Bich, après avoir souscrivent les honorables juges Patrick Healy et Stéphane Sansfaçon.

Les faits

Dans cette affaire, Lofti Sahlaoui (l’ « Employé ») travaillait depuis environ 10 ans au moment de sa démission, comme orthésiste-prothésiste à temps plein chez Médicus (l’ « Employeur »). Dans le cadre de son emploi, l’Employé travaillait trois jours par semaine à l’hôpital Notre-Dame de Montréal (l’« Hôpital ») où il rencontrait des patients que lui référaient les chirurgiens orthopédistes de l’Hôpital. Grâce à la qualité de ses services, l’Employé a développé une relation de confiance avec ces chirurgiens au fil des années.

Quelques mois avant sa démission, l’Employé a effectué tous les préparatifs nécessaires afin de démarrer sa propre entreprise, Evo Orthopédie Technique inc. (« Evo »), soit une entreprise ouvrant dans le même champ d’activités que l’Employeur. Plus particulièrement, l’Employé a participé à la constitution d’Evo, à la signature de la convention d’actionnaires, à la signature d’un bail, à l’emménagement d’Evo dans ses nouveaux locaux ainsi qu’à l’ impression de cartes professionnelles et bloc-notes de prescriptions.

Dans les jours qui ont suivi sa démission, l’Employé a contacté les chirurgiens orthopédistes de l’Hôpital pour les informateurs de ce changement d’emploi et pour les inviter à faire affaire avec lui chez Evo. Ces derniers ont donc décidé d’entamer un processus d’offre de services visant à choisir un fournisseur privilégié d’orthèses/prothèses. Entre l’Employeur, Evo et une troisième entreprise, les chirurgiens orthopédistes ont choisi Evo. Par ce choix, Evo a obtenu un bassin de clientèle important, alors que les ventes de l’Employeur ont diminué significativement.

Face à cette situation, l’Employeur a décidé de réclamer des dommages à l’Employé et à Evo alléguant que l’Employé avait manqué à son devoir de loyauté durant le contrat de travail et après celui-ci.

Les prétentions des parties

L’Employeur prétend essentiellement que l’Employé a manqué à son obligation de loyauté. Plus particulièrement, l’Employeur avance que l’Employé a profité de ses privilèges privilégiés avec les chirurgiens orthopédistes de l’Hôpital par l’intermédiaire de L’Employeur pour détourner les relations d’affaires de l’Employeur à son propre bénéfice, et ce, durant son emploi et après son départ.

De son côté, l’employé prétend avoir servi avec intégrité les intérêts de son employé jusqu’à sa démission et qu’il était libre de solliciter les chirurgiens orthopédistes de l’Hôpital suivant sa démission.

Le jugement en première instance

En première instance2, la juge Karen Kear-Jodoin de la Cour Supérieure donne raison à l’Employeur et conclu que l’Employé a contrevenu à son obligation de loyauté durant son emploi puisqu’il avait déjà tout mis en place pour démarrer son entreprise dans les cinq derniers mois de son emploi avec l’Employeur.

De plus, le juge de première instance conclu par sa sollicitation des chirurgiens orthopédistes de l’Hôpital et par sa participation à un processus d’offre de service visant à choisir un fournisseur privilégié, l’Employé a utilisé la relation privilégiée développée avec les chirurgiens orthopédistes pour les influenceurs. Elle conclusion également que l’Employé ne pouvait s’immiscer dans la relation entre l’Employeur et l’Hôpital ni dans le référencement des patients par les chirurgiens orthopédistes.

La juge fixe les dommages à 135 238$, soit la valeur des pertes subies par l’Employeur en une année en raison de la perte de clientèle lieu de l’Hôpital.

Le jugement en appel

Pour les motifs résumés ci-dessous, la Cour d’appel du Québec conclut que l’Employé n’a pas manqué à son devoir de loyauté à l’égard de l’Employeur et infirme le jugement de première instance.

Obligation de loyauté durant l’emploi

La Cour d’appel détermine qu’un salarié est libre de faire toutes les « démarches et les préparatifs nécessaires » à un changement d’emploi alors même que l’employé « est encore à l’emploi de celui ou celle qu’il entend lâcher ». De plus, la Cour d’appel précise qu’un employé peut « garder pour lui son intention de changer d’emploi ou les démarches qu’il entreprend à cette fin » incluant lorsqu’il planifie de travailler pour un concurrent ou de concurrencer lui -même son employeur en se lançant en affaires.

La Cour d’appel impose cependant certaines limites à l’employé qui procède à ses préparatifs de départ. La Cour d’appel précise qu’un employé ne peut pas faire ces préparatifs sur son temps de travail ou en utilisant des outils que l’employeur met à sa disposition. Un employé ne peut pas non plus « piller ou pirater l’information confidentielle de l’employeur ou des dossiers sur qu’il travaille, cacher ou détourner des occasions d’affaires, s’approprier les listes de clients ou les biens de son employeur, recruter les clients de celui-ci à son bénéfice ou celui d’abord, dénigrer déjà et autrui l’employeur auprès de ses collègues ou de la clientèle, ou autres comportements du genre ». La Cour d’appel ouvre également la porte à ce que les hauts dirigeants d’une entreprise peuvent avoir un devoir de loyauté plus important, notamment en matière de transparence, à l’égard de leur employeur.

Dans ce contexte, la Cour d’appel estime que l’Employé n’a pas manqué à son devoir de loyauté durant son emploi. En effet, même si l’emploi a préparé le démarrage d’Evo, alors qu’il était encore à l’emploi de l’Employeur, il a continué d’exercer ses fonctions normalement, n’a pas détourné de clients chez Evo ou ailleurs et ne s’est pas approprié d’informations confidentielles appartenant à l’Employeur.

Obligation de loyauté après la fin d’emploi

La Cour d’appel conclue qu’un employé peut concurrencer son ancien employeur dès qu’il cessera de travailler pour lui, sous réserve d’une clause restrictive prévue dans son contrat de travail. Autrement dit, un « employé qui n’est pas assujetti à une clause de non-concurrence (ou seulement de non-sollicitation ou de confidentialité prolongée) peut disposer à sa forme de l’expertise, des connaissances et des qualités qu’il a acquis ou développés au sein de l’entreprise de son ex-employeur, y compris en faisant concurrence à celui-ci et en cherchant à s’en approprier la clientèle, et ce, même vigoureusement ». L’utilisation par un employé des relations professionnelles développées lors de son emploi précédent ne constitue donc pas une faute. L’obligation de loyauté n’exige pas l’absence de concurrence.

L’obligation de loyauté après l’emploi empêche simplement un employé d’« utilisateur des renseignements confidentiels de son ancien employeur, solliciter agressivement les clients avec qui il entretenait une relation privilégiée lorsqu’il était encore chez l’employeur ou se livrer à du dénigrement systématique ».

Cette obligation ne peut être assimilée à une clause de non-concurrence et n’est d’ailleurs que temporaire, c’est-à-dire d’une durée qui varie entre quelques semaines et quelques mois. En effet, la Cour d’appel précise que cette obligation « ne saurait ordinairement excéder trois ou quatre mois, plus rarement six mois, et sera souvent moindre [.] ». Elle souligne également que l’intensité et la durée de cette obligation après l’emploi peuvent varier, notamment selon la nature des tâches de l’employé et son niveau hiérarchique au sein de l’entreprise. Par exemple, un cadre supérieur ou l’employé-clé pourrait avoir un plus grand devoir de loyauté.

Dans ce contexte, la Cour d’appel affirme que l’employé ne s’est pas conduit de manière déloyale après sa démission en contactant les chirurgiens orthopédistes pour les informateurs de son changement d’emploi. L’Employé ne s’est pas fait passer pour un employé de l’Employeur après sa démission et n’a pas utilisé de renseignements confidentiels. La Cour d’appel confirme que les pertes encourues par l’Employeur sont dues à une concurrence légitime de Evo à la suite du départ de l’Employé, et non à une concurrence déloyale.

Ce que les employeurs doivent retenir

La Cour d’appel confirmée dans cet arrêt que l’obligation de loyauté prévue au Code civil n’empêche pas un employé de préparer sa transition vers son prochain emploi avant d’avoir démissionné et de concurrencer son ancien employeur immédiatement après sa démission. Évidemment, le devoir de loyauté demeure une obligation dont l’application et l’intensité varient notamment en fonction des tâches ou du niveau hiérarchique occupé par l’employé.

Cet arrêt rappelle aussi indirectement l’importance pour les employeurs d’inclure des clauses de non-concurrence et/ou de non-sollicitation au sein même des d’emploi de leurs employés lorsque cela s’avère nécessaire, en considération de leurs rôles et responsabilités, pour protéger les intérêts légitimes de leur entreprise.

Nous aimerions souligner la participation d’Aurélie Derigaud-Choquette, stagiaire, à la préparation de ce billet.

Notes de bas de page

1 Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus), 2021 QCCA 1310.

2 2330-2029 Québec inc. (Médicus) c. EVO Orthopédie technique inc. (jugement rectifié le 2019-10-04), 2019 QCCS 4124.

Le contenu de cet article est destiné à fournir un guide général sur le sujet. Des conseils spécialisés doivent être recherchés au sujet de votre situation particulière.



Source